des-mots-sans-bruit

(biblio-blog)

Vendredi 10 juillet 2009 à 10:26


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Emily Brontë, Les Hauts de Hurle-Vent.

En pensant à ce livre dont je ne connaissais pas grand chose je me disais "Boarf, un roman anglais du début du 19ème... je garde ça pour quand je serai à la retraite, je le lirai avec une tasse de thé fade, un plaid et un chat sur les genoux, les charentaises au pied, et mon réveil réglé pour me rappeler l'heure de partir au club question pour un champion de mon quartier." C'est dire que j'avais un a priori légèrement négatif. Et puis quelqu'un pour qui j'ai une estime immense m'a dit qu'il fallait absolument que je le lise, que c'était superbe etc. Ce que je fis donc cette semaine.
Je le reconnais, je me trompais. Ce roman est tout à fait étonnant. C'est une histoire d'amour. Ou plutôt de haine, on ne peut pas dire, les extrêmes se touchent. C'est d'ailleurs ce qui en fait, pour bonne part, sa qualité. La forme même est surprenante pour l'époque je trouve, plusieurs récits et narrations de plusieurs formes, à tiroirs, qui s'emboîtent, se complètent, et forment l'histoire qui nous est rapportée en fin de compte. Je ne m'attendais pas à trouver ce jeu entre les narrateurs, les paroles rapportées, les témoignages directs des personnages, c'est très intéressant.
L'histoire même est passionnante. Tous les personnages ont d'incroyables tares morales et psychologiques, pas un seul n'est équilibré à l'exception peut être des deux narrateurs. C'est loin d'être une petite histoire d'amour sage, mielleuse et bien polie, c'est un déchaînement de passions. À l'époque de sa publication, je me dis que ce livre a dû pas mal faire de boucan dans les salons bourgeois ! Il est sûrement tombé des mains offusquées des vieilles anglaises bien pensantes. Ici, les vices des personnages sont bien mis en évidence, il n'y en a pas un pour rattraper l'autre, et quand je dis que le livre est passionnant, c'est parce que le phénomène d'empathie est très fort, le lecteur est transporté dans l'histoire, on ne reste pas froid devant ce texte tant les personnages et leurs actions sont détestables. On aurait envie de leur casser les genoux à coup de batte, de les énucléer avec une cuillère à pamplemousse, de leur faire écouter un album d'Indochine (non, peut être pas ça quand même, il y a quand même des limites à la barbarie).
J'explique un peu. L'action est dans une campagne anglaise isolée, c'est à dire nulle part. C'est un milieu clos, stagnant, les gens qui vivent là n'ont qu'eux comme compagnie, ils ne peuvent pas sortir de cet enfermement, alors pour passer le temps, on se marie et on se hait, ça occupe. Ils n'ont pas le choix, mis à part les domestiques, qui sont moins que rien dans la mentalité de l'époque, ils ne connaissent qu'une ou deux personne, alors forcément on tombe amoureux par caprice et ennui, et évidemment on se déteste tout de suite après. Dans l'inaction, les vices et haines diverses se développent, prennent de l'ampleur et deviennent incroyablement puissants. Le pire, et le plus passionnant, est que tout ça part d'une histoire d'amour, une grande et terrible histoire d'amour que la souffrance et le déséquilibre psychologique d'un personnage va transformer en atrocité, en manipulation et tortures, ce qui bien évidemment donne toute sa puissance à l'histoire d'amour. On est scotché aux pages, on se demande toujours jusqu'où ils vont aller, si ils vont réussir, ce qui va pouvoir se passer, on se dit "non, elle ne va quand même pas faire ça, non mais quelle conne", on a le souffle suspendu d'un mot à l'autre, bref, on est pris dedans, effet encore accentué par la narration entrecoupée, multiple, avec des anticipations qui, l'air de rien, créent une tension terrible. Et puis surtout on est pris dans le roman parce qu'on a envie de les tuer. Tous. Les petits aristos prétentieux, arrogants pourris et égoïstes à l'extrême avec en plus tout ce qu'ont de particulièrement insupportable les enfants-adultes trop gâtés, à la limite, ça passe encore, on peut se dire qu'ils ont été élevés comme ça, qu'ils ont été formés pour être des trous du cul détestables, qu'ils méritent la mort, mais sans leur en vouloir quoi, mais alors les domestiques arrogants, serviles stupides et impuissants, là c'est trop, pas d'excuse ! Les maîtres sont idiots au possible, plus que ça ne devrait être permis, et les domestiques sont soit pires, soit impuissants à faire quoi que ce soit, la narratrice regarde sa maîtresse se perdre et ne peut/veut rien faire, c'est à se demander à quoi elle sert. Ce roman n'est pas du tout vraisemblable : la vraisemblance réclame meurtres et suicides dans ce contexte. Donc en résumé, tout ça pour dire que le lecteur est complètement transporté dans le récit, qu'il vit l'histoire.
L'écriture est très agréable (ce qui me rappelle que je dois faire un article à ce sujet. Le prochain sans doute), fluide, simple, l'histoire elle même est d'une beauté romantique très puissante, la fin est heureuse comme vous vous en doutez, ça n'est à aucun moment lourd contrairement à ce que je craignais, surtout dans ce pays, il n'y a pas de looooooongues descriptions de la lande et des vallons etc etc, c'est à la fois très simple et très beau, pas mielleux, vraiment c'est un superbe roman qui se lit très rapidement. Je pense que ça ne peut pas se traduire en film sans être un gros navet, il faut réellement le lire et j'encourage tout le monde à faire cette lecture.
 

Mercredi 8 juillet 2009 à 17:20


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Albert Camus, La peste.

À Oran, à une époque moderne mais sans date précise, les rats sortent de plus en plus nombreux pour mourir en masse dans les rues, et bientôt le mystérieux mal atteint également les humains, vous l'avez deviné, c'est de la peste qu'il s'agit. Immédiatement après que les autorités ont reconnu ce qu'était le fléau, la ville est fermée, des mesures de quarantaine organisées etc. C'est la vie de la citée close et de ces habitants qui nous est racontée par un narrateur qui garde l'anonymat jusqu'au dernier chapitre, il fait état de l'avancée du mal, des réactions des gens, de quelques uns plus en particulier, décrit les habitudes et pensées de ces gens en temps d'occupation par la peste, ceux qui tentent de se révolter, de résister même s'ils sont totalement impuissants face à ça, ceux qui collaborent d'une certaine façon en profitant des occasions que le fléau offre, et tous ceux qui subissent simplement, jusqu'au beau jour où la peste finit par faiblir puis disparaitre comme elle était apparue.
Le récit se veut froid, impersonnel, distant, presque analytique, très monotone. C'est assez long et ennuyeux, mais pas de façon négative parce que ça serait mal écrit, loin de là, au contraire, c'est un peu l'effet recherché, et cette monotonie fait partie de l'histoire. Camus nous montre les différentes façons de penser et les réactions face à un mal perçu comme absolu et contre lequel on ne peut en gros rien faire, et même simplement pas comprendre. Un texte riche et profond, très intéressant. Je me suis en effet ennuyé à la lecture mais pourtant, j'ai assez aimé. Intéressant à lire, je le conseille, mais plutôt à des lecteurs un minimum motivés, car sans être particulièrement difficile, on a l'assoupissement facile devant ces chroniques de la peste.

 

Dimanche 5 juillet 2009 à 11:24

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Didier Daeninckx, Cannibale.

Ce livre nous présente une histoire bien gentillette qui se déroule sagement en 1931 où un groupe de Kanak est envoyé à Paris pour l'exposition coloniale et sont donc parqués comme des animaux, montrés comme des bêtes sauvages et qualifiés de cannibales. Une trentaine d'entre eux est ensuite prêtée à un cirque Allemand et donc séparé du groupe, et il y a dans le lot une jeune fille dont le "fiancé" va partir pour le rechercher avec un ami. Vu comme ça, on s'attend à un récit plein de promesse, d'aventures, avec peut être une dénonciation un peu facile et lourdingue de la société de l'époque et son racisme, malheureusement le livre ne comprend que ce second aspect, et encore, à peine. On peut dire qu'il ne se passe à peu près rien. L'injustice flagrante du traitement de ces hommes n'est pas utilisée, la morale à la con est franchement de trop, c'est une jolie petite historiette un peu crétine. La narration est sensée être orale, mais ça n'apparait pas du tout, soit que ce soit un mauvais choix de l'auteur, soit simplement que ce soit raté, aucune légèreté, et si Chamoiseau m'exaspère avec une écriture trop orale à mon goût, là c'est le contraire. Et puis l'oscillation entre le temps du récit et le temps de l'énonciation, en plus d'être très mal maîtrisé, est à mon sens parfaitement inutile et vient rendre encore plus lourd le récit. Une fois la dernière page tournée, j'ai poussé un soupir et tout ce que j'avais lu est sorti de ma tête. Pas la peine de le lire d'après moi.

Mercredi 24 juin 2009 à 10:19

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Victor Ségalen, Le fils du Ciel.

L'histoire d'un empereur chinois à la fin de l'empire, figé dans des traditions lourdes et rigides il est incapable de s'ouvrir à l'arrivée des occidentaux, ni de leur résister, c'est sa fierté et son orgueil qui vont le briser. L'empereur lui même, le Fils du Ciel, est écrasé par les ancêtres, le passé glorieux et glorifié, les cérémonies, codes et symboles, il est pris dans une continuité temporelle dont il ne peut se sortir, ce qui va le mener progressivement à une démence sans âge, à trop incarner son rôle.
Le récit est fait de l'intérieur de la cour, au plus près de l'empereur, il est donc subjectif, parsemé de non-dits, il faut décoder souvent les textes officiels. L'écriture très particulière est une espèce de reproduction du style impérial. Pour cette raison, il est relativement difficile à lire au début, les premières pages nous déconcertent beaucoup on se demande devant quoi on est. Et puis assez vite, on s'y fait, on adhère complètement au style, l'histoire part et on s'y attache, on tombe dedans, le mode de narration ne gêne plus du tout et ça devient carrément passionnant. C'est un rise & fall, on suit l'empereur du début glorieux de son règne à sa fin tragique à travers le pinceau de l'analyste officiel.
C'est un livre qui peut clairement sembler difficile au début, mais qui vaut franchement le coup qu'on se pousse un peu. C'est une merveille d'une beauté impressionnante, j'encourage tout le monde au moins à essayer. Il n'est pas très cher il me semble, mais comme il doit être libre de droits, je l'ai entièrement numérisé et peut être que je le mettrai en ligne un jour, disponible au téléchargement, mais il faut d'abord que je le relise, le corrige et fasse la mise en page, ce qui est très très long et laborieux comme vous vous en doutez, donc c'est pas pour demain. Ce livre a une richesse incroyable, mais il est plus riche encore quand on a déjà lu les Stèles de Ségalen, et sans doute aussi quand on a lu équipée que je n'ai pas encore lu, et Briques et tuiles que j'adorerais lire dans ces si belles et si chères éditions Fata Morgana, et sa correspondance. D'ailleurs si quelqu'un veut me les offrir :-)
Bref, pour conclure : c'est une merveille !

Mardi 23 juin 2009 à 9:27

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Philippe Djian, Crocodiles.

On m'avait dit que je devrais le lire, que c'était sans doute pas d'une valeur littéraire dingue mais que c'était une lecture très agréable, qu'on passait un bon moment. Je suis d'accord : ça n'est pas d'une valeur littéraire dingue. Sur le reste, je suis moins d'accord. Le principe des six nouvelles me semblait déjà un peu con-con, mais enfin parfois on a de bonnes surprises, là non. Ces gentilles petites histoires nous montrent des personnages qui sous leur cuir épais de crocodiles ont en fait un bon fond, et même un cœur gros comme ça (rhôôô, c'est kro meugnon).
L'auteur se prête là à un véritable exercice de style : il adopte une écriture d'une platitude incroyable.  Le style du récit court est assez mal maitrisé à mon avis avec des chutes qui n'en sont pas, qui se trainent, sans surprise, c'est l'équivalent littéraire d'un pétard mouillé. Ses tentatives pour rendre l'écriture ou le récit incisif sont assez navrantes à mon avis et en tout cas elles échouent parfaitement. Je n'ai rien trouvé dans ce livre, rien, ni le plaisir de l'histoire ni de l'écriture, et encore moins celui d'une surprise quelle qu'elle soit. Par moments ça m'a un peu fait penser à Cruels 13 de Luc Lang, mais en raté et version bisounours. Pour résumer, deux solutions : soit je suis passé complêtement à côté du bouquin et je n'ai rien compris, soit il n'a absolument aucun intéret et aucune saveur (je penche plutôt pour la seconde proposition), il n'a d'ailleurs même pas le mérite d'être complêtement nul et détestable, il est juste très médiocre, on s'ennuie une petite heure à le lire, et puis on l'oublie. Je vais mettre un moment avant de lire un autre livre de lui. Lequel est bien ?
 

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