des-mots-sans-bruit

(biblio-blog)

Mardi 13 octobre 2009 à 20:48


http://www.decitre.fr/gi/37/9782253123637FS.gif.
Laura Kasischke, À moi pour toujours.

Pour une fois, commençons par parler de l'écriture en elle même, car je trouve qu'elle représente assez bien le livre dans sa totalité. Elle n'est pas désagréable, pas de fausse note, et pourtant, on y croit pas. Elle est forcée, pas naturelle pour un sou, elle sent l'atelier d'écriture comme un vieux sent l'eau de Cologne. Elle est à l'image de tout le roman : trop sage et bien rangée. On dirait une maison témoin, on ne peut presque rien y reprocher en particulier, mais ça sent le faux, on voit bien que c'est artificiel.
L'histoire est celle d'une femme, une américaine tout ce qu'il y a de plus normal, de plus cliché même, la quarantaine, qui a une vie normale, façon série aseptisée des Etats Unis, le genre de trucs parfait jusqu'à l'insupportable, typé à l'extrême, qu'on a déjà vu mille fois. Et soudain, cette perfection va être dérangée par la réception de lettres d'amour anonymes qui vont bousculer toute cette petite vie, faisant déraper le personnage, on se rend alors compte de tout ce qui ne va pas, sonne faux dans cette vie qui semble toute lisse. Je m'attendais donc à un roman angoissant, qui prend aux tripes, qui fait s'écrouler un monde, se perdre, je voyais déjà le personnage paumé au milieu de quelque chose qu'elle ne maitrise ni ne comprend plus, qui lui échappe, je voyais d'oppressantes remises en question, je me préparais à avoir le vertige et à étouffer. Mais au lieu de ça, on a droit à la série américaine type. Le pseudo dérapage ne dérape jamais. Rien ne dérape vraiment dans ce livre. L'un des sujets abordés dans le bouquin serait le désir, mais je ne l'ai que très peu vu. Le cul par contre, oui. Quand elle n'est pas en train de baiser, la narratrice pense à baiser et se masturbe. Alors ça va un moment, mais à la longue, ça fait beaucoup. Et surtout, je dis qu'elle baise, mais il serait plus juste de dire qu'elle se fait baiser, et justement, le désir, il n'est que très peu présent, elle est une sorte d'objet qui subit la plupart du temps, sans que ça semble la perturber. Et quant aux fantasmes exprimés, c'est malsain au possible. J'ai beau ne pas être prude, là c'est franchement écœurant au bout d'un moment, c'est trop, trop, trop, et surtout, c'est assez gratuit.
La deuxième partie, celle justement où elle se fait baiser en long en large et en travers (et encore, baiser c'est trop propre, elle se fait troncher, défoncer, ramoner les conduits, péter la faille, récurer la tuyauterie, élargir la crevasse, exploser le dindon, déchirer la rondelle, explorer le terrier etc. etc.), est clairement en trop, ça ne sert à rien, on a bien compris qu'elle se faisait astiquer le mollusque à en avoir des irritations, ça va, et tout le reste n'est que reprises en moins bien et moins fin de ce qui était dit dans la première partie. C'est beaucoup trop long et n'atteint pas son but.
Cependant, la troisième partie rattrape le tout, donne un sens, même si elle ne reprend quand pas non plus toutes les attentes crées au début du livre. Encore une fois, la construction est bonne, mais bon. Cette fin surtout m'a déçu, sortie de nulle part, avec un faux suspense auquel on est pas réellement pris, on se retrouve en pleine série américaine banale. J'ai eu l'impression que, surtout par cette fin, le livre était passé à côté de tous les thèmes intéressants qu'il aurait pu aborder, il ne fait que les frôler. C'est frustrant. Mais je pense que si je savais écrire, ça m'aurait donné très envie de le ré-écrire en mieux.
La narration aussi m'a un peu troublé. Homodiégétique, elle n'est pourtant pas assez subjective, on dirait que c'est toujours un entre deux, mal défini, comme d'ailleurs la forme, quelque part (c'est à dire nulle part) entre les pensées d'un personnage, le roman classique et le journal intime. Pas mal de passages inutiles aussi, mais pas assez inutiles pour être crédibles (toute description est un choix), parfois, ça pue vraiment l'atelier d'écriture, et pourtant, c'est bien pensé, bien écrit. Un détail aussi, je déteste le name dropping, et visiblement, Laura Kasischke non. Mais ça va ça, on en trouve pas trop.
Enfin un mot sur la traduction pour finir : dans l'ensemble elle est bien, dans les grandes lignes, mais alors par moment elle est franchement mauvaise, on relève plusieurs fois des fautes de français, et au contraire dans les dialogues qui se veulent assez crus et violents, un français trop correct, écrit et presque soutenu !
Pour conclure et résumer, c'est un livre "mais bon", c'est à dire un livre qui est bien fait, bien écrit, mais bon. Il passe à côté de beaucoup de chose. Il n'est pas mauvais mais n'arrive pas à être bon. Décevant par rapport aux promesses de la première partie, frustrant, mais pas non plus inutile, je suis malgré tout content de l'avoir lu. Et je répète qu'il doit pouvoir donner de fortes envies d'écriture.
 

Lundi 12 octobre 2009 à 21:43


http://www.librairiepantoute.com/img/couvertures_300/trois-femmes-puissantes-09.jpg
Marie NDiaye, Trois femmes puissantes.

Partout dans les articles et interviews qui m'étaient passés devant les yeux et dans les oreilles, on me disait que ces trois nouvelles différaient radicalement des précédents livres de Marie NDiaye, qu'on voyait un réel tournant dans son œuvre. Du coup j'avais un peu peur. C'est vrai, moi j'aime le style de Marie NDiaye, son univers habituel, alors si là c'est complètement différent, est-ce que je vais aimer ? Un seul moyen de le savoir.
La première de ces trois nouvelles est du Marie NDiaye pur jus, tout y est, pas l'ombre d'un soupçon de déception, son style impressionnant, son univers (relation ambiguë à la famille, dévoration, étrange voire fantastique accepté sans avoir besoin d'être expliqué, malaise permanent...), on est en terrain familier. Intrigante à l'extrême et toujours dérangeante, quelque part un peu frustrante, mais d'une façon formidable, en tout cas passionnante, cette première nouvelle annonce du bonheur pour la suite.
Les deux autres nouvelles sont effectivement légèrement différentes. Elles ne sont pas moins passionnantes, pas moins bien écrite non plus, certainement pas, mais disons un peu plus classiques, moins étranges (encore que). Mais enfin je ne trouve pas qu'elles soient vraiment en rupture totale par rapport à son style habituel. Elles sont toutes merveilleusement troublantes, et la dernière est monstrueusement (mais délicieusement) triste.
La deuxième nouvelle est la plus longue, et selon moi la moins palpitante. Mais toujours bonne. La tentation du fantastique est toujours présente, l'étouffement aussi, le malaise, on a le coeur qui se serre à la lecture, quelle écriture ! La fin me fait très fortement penser à quelque chose, mais quoi ? Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus, pourtant j'ai l'impression d'avoir déjà lu ça quelque part, mais où ? Aidez moi s'il vous plaît, si vous lisez ce bouquin, dites moi à quel autre livre vous fait penser ce passage !
La troisième nouvelle est extrêmement belle, elle touche beaucoup et est très très bien écrite, ce qui n'est pas évident vu l'histoire. Elle est incroyablement bien écrite, sa longueur est pile poil ce qu'il fallait, elle est parfaite. Dans le thème et la fin, elle m'a évidemment fait penser à la nouvelle de Laurent Gaudé, "L'assaut", dans Eldorado, mais l'écriture est totalement différente. Elle laisse une impression très étrange, elle marque, ça c'est sûr, un malaise profond quand on referme le livre, et une envie de plus, d'encore. Décidément un excellent livre, j'avais un peu peur de ce que j'allais trouver et j'avais tort de me méfier, c'est un bouquin génial qui a chambardé mon monde. Jetez vous dessus !

Et dire qu'on refile le Nobel à Le Clézio alors qu'elle vaut des millions de fois mieux que ça !

Dimanche 27 septembre 2009 à 18:19


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Elfriede Jelinek, La pianiste.

Le texte est composé de deux parties. Au premier abord, la lecture semble difficile, voire impossible. On déteste. L’auteur a une écriture extrêmement particulière, irritante, et elle en joue, force le trait, cherche à perdre son lecteur dans des phrases en forme de labyrinthe, difficiles en français, impossibles en Allemand, les focalisations changent, sont imprécises, aussi floues que les personnages dont il s’agit ou que le temps qui est rapporté, le lecteur tâtonne dans une grande pièce noire et glaciale. Très vite, une envie le prend et se fait pressante : sortir.
Cette seule raison ; le fait que le livre soit absolument détestable et illisible, pousse le lecteur à pousser plus loin la lecture, à se forcer à se trouver à l’aise dans cette pièce sombre et gelée. Ca n’est pas tous les jours qu’un livre nous déstabilise à ce point dans notre petit confort. On persiste, on cherche à rassembler, non pas tant à comprendre, mais à emmagasiner les informations, à s’imprégner du récit, le recevoir simplement, on verra après ce qu’on en fait.
Et on a raison de s’être accroché, de ne pas avoir pris un air dégoûté devant ce qui ne nous est pas habituel, c’est ce dont on se rend compte à la seconde partie où la narration se fait plus conventionnelle et où tout ce qui nous a été jeté sans ordre ni forme dans la première partie prend sens, se révèle comme les photos sur le papier (enfin si quelqu’un voit encore de quoi je veux parler). Jelinek n’a pas décrit son personnage, elle l’a fait ressentir, comprendre à son lecteur, elle le lui a offert, elle lui a donné un corps et l’a fait haïr de nous, bons lecteurs, et maintenant qu’elle a réussi à construire cela, elle le détruit. Et de nouveau, on est choqué. Avec ça, une description et une réflexion sur l'art, sur l'être, d'une profondeur formidable.
« Destruction », c’est un mot qui pourrait parfaitement résumer le roman, si toutefois on n’oublie pas de lui adjoindre « dévoration ». C’est donc un livre très pesant, difficile, en un mot, désagréable à l’extrême, et pour cette raison, agréable à l’extrême. Comme je l’ai dit, c’est un livre qui choque. Tant par sa forme, inhabituelle, sèche au premier abord, que par son contenu, à donner la nausée par moments. La lecture n’est pas gentillette et tranquille, on ne sort pas de là sans avoir été bousculé (à moins d’avoir de sérieux problèmes psychologiques), et ça, c’est suffisamment rare pour être signale. Du point de vue de la langue, c’est difficile, disons le, mais sans doute moins en français qu’en Allemand. Certaines difficultés à la lecture m’ont fait m’interroger : tournure particulièrement malhabile, faute ou traduction du texte allemand lui-même très tordu ? Pour avoir eu à traduire un passage de ce livre, pourtant pas le plus difficile, je ne dirais pas que la traduction est mauvaise, et quand parfois certaines phrases me semblent « contre nature », je prends le parti de voir ça comme un choix d’écriture de l’auteur, ça fait réellement partie du livre.
Vous l’aurez donc compris, un livre dur dans tous les sens du termes, mas qu’il ne faut surtout pas éviter pour cette raison, il faut forcer sa lecture pour finalement s’apercevoir du monument formidable à côté duquel on a failli passer par manque de courage ! Ouf ! S’il y avait plus de livres comme celui là, je me demanderais moins souvent si, en fin de compte, la littérature a un quelconque intérêt.

 

Mercredi 16 septembre 2009 à 11:25


http://www.renaud-bray.com/ImagesEditeurs/PG/850/850741-gf.jpg
 
Katherine Pancol, Les yeux jaunes des crocodiles.

J'avais déjà lu ou essayé de lire des bouquins de cet auteur, et quand j'avais réussi, j'avais eu beaucoup de mal. Celui que j'avais lu jusqu'au bout ne m'a laissé aucun souvenir, en partie à cause de son manque total du moindre soupçon d'intérêt, en partie parce que c'était tellement nul que par moments je me suis mis en mode lecture automatique, mes yeux courent sur les mots, mais mon cerveau ne travaille plus. Je dois bien reconnaître que celui là est moins illisible que ses prédécesseurs. Le style n'y est pas meilleur, c'est vrai, l'histoire est à peine moins nunuche, mais il est moins détestable, il se lit plus facilement. Les histoires de plusieurs personnages sont croisées, procédé sans doute utilisé pour montrer plusieurs aspects de l'histoire par des personnages différents et ne pas lasser le lecteur. Malheureusement, le procédé en lui même peut devenir lassant à force (encore que dans ce cas ça a été à peu près), mais surtout, l'histoire est tellement plate et les personnages peu profonds que ça serait la même chose sans cette technique. Non, mais bon, l'histoire est jolie hein, un peu attendrissante, sans doute rassurante pour certaines, presque drôle quelquefois. Ça se lit quoi, ça glisse tout seul. Mais le problème des livres de Katherine Pancol, c'est qu'on voit tout arriver largement à l'avance, et là, au quart du livre, c'est bon, c'est comme si on l'avait lu. L'histoire est banale, disons le, une femme, un peu paumée, pas sûre d'elle se trouve en position de devoir se prendre en main et de s'en sortir seule quand son mari se barre (et qui évidemment malgré les difficultés va non seulement s'en sortir, mais même réussir au point d'être admirée, retrouver l'estime de ses filles, prendre confiance en elle et trouver un (des ?) amoureux, bla bla bla, c'est formidable) et parallèlement l'histoire dudit mari, de la fille avec qui il est parti, et d'autres personnes en lien plus ou moins proche avec cette femme. Ça serait bien fait si ça se rejoignait vraiment, si ça n'était pas gratuit, mais là comme je l'ai dit, il n'y a rien d'autre qu'une histoire bien gentille, extrêmement attendue et convenue. Pour résumer, ça se lit, de la même façon qu'un téléfilm M6 se regarde, il est beaucoup moins mauvais que d'autres de cet auteur, mais je n'irais quand même pas jusqu'à le conseiller à quelqu'un.
 
 

Jeudi 10 septembre 2009 à 15:20

http://des-mots-sans-bruit.cowblog.fr/images/general/avatarchatmotsansbruit.jpg
http://www.decitre.fr/gi/60/9782070360260FS.gif
 
Paul Claudel, L'annonce faite à Marie.

Quel titre austère ! Mais bon, je me suis dit que le titre n'est pas tout et on peut trouver des trésors sous la plume de Claudel, alors je ne me suis pas arrêté à la couverture. Et j'ai bien fait. Contre toute attente, j'ai été happé par cette pièce, je l'ai lue sans voir le temps passer. Il parle d'amour, nous raconte l'histoire d'une rivalité entre deux sœurs, une histoire de sacrifice et de sainteté. Le texte est très étrange, empreint de magie, de surnaturel, de miracle. Les personnages sont complexes, tous intéressants, tous à leur façon. La forme est une sorte de théâtre poétique, les versets sont assez déstabilisant à la lecture des premières lignes, mais on s'y fait très rapidement. Le théâtre n'est pas toujours évident à lire, mais ici, ce format particulier fait que c'est un texte qui mérite autant d'être lu que vu, sinon plus. De même, l'histoire semble très obscure pendant un moment, on se sent un peu perdu, mais au bout d'un moment on entrevoit des choses, puis tout est révélé, et alors tout s'éclaire, c'est une révélation, la pièce prend son sens, on revient en arrière, essaye plusieurs niveaux et sens de lecture, c'est une pièce extrêmement riche, et surtout, ça reste du Claudel, d'une beauté époustouflante ! Tant dans le fond que dans la forme, c'est, pour peu qu'on accepte l'écriture un peu inhabituelle, un plaisir immense. Une pièce assez difficile, il faut le dire, mais tout de même moins que ce qu'on pourrait penser a priori ou au début de la lecture, et surtout qui vaut le coup qu'on dépasse ses préjugés pour s'autoriser à tomber amoureux de ce texte. Mais étonnamment pour moi, je n'ai pas envie du tout de voir cette pièce représentée, ça reste dans ma façon de recevoir l'œuvre, avant tout un texte écrit.
 

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