Elfriede Jelinek, La pianiste.
Le texte est composé de deux parties. Au premier abord, la lecture semble difficile, voire impossible. On déteste. L’auteur a une écriture extrêmement particulière, irritante, et elle en joue, force le trait, cherche à perdre son lecteur dans des phrases en forme de labyrinthe, difficiles en français, impossibles en Allemand, les focalisations changent, sont imprécises, aussi floues que les personnages dont il s’agit ou que le temps qui est rapporté, le lecteur tâtonne dans une grande pièce noire et glaciale. Très vite, une envie le prend et se fait pressante : sortir.
Cette seule raison ; le fait que le livre soit absolument détestable et illisible, pousse le lecteur à pousser plus loin la lecture, à se forcer à se trouver à l’aise dans cette pièce sombre et gelée. Ca n’est pas tous les jours qu’un livre nous déstabilise à ce point dans notre petit confort. On persiste, on cherche à rassembler, non pas tant à comprendre, mais à emmagasiner les informations, à s’imprégner du récit, le recevoir simplement, on verra après ce qu’on en fait.
Et on a raison de s’être accroché, de ne pas avoir pris un air dégoûté devant ce qui ne nous est pas habituel, c’est ce dont on se rend compte à la seconde partie où la narration se fait plus conventionnelle et où tout ce qui nous a été jeté sans ordre ni forme dans la première partie prend sens, se révèle comme les photos sur le papier (enfin si quelqu’un voit encore de quoi je veux parler). Jelinek n’a pas décrit son personnage, elle l’a fait ressentir, comprendre à son lecteur, elle le lui a offert, elle lui a donné un corps et l’a fait haïr de nous, bons lecteurs, et maintenant qu’elle a réussi à construire cela, elle le détruit. Et de nouveau, on est choqué. Avec ça, une description et une réflexion sur l'art, sur l'être, d'une profondeur formidable.
« Destruction », c’est un mot qui pourrait parfaitement résumer le roman, si toutefois on n’oublie pas de lui adjoindre « dévoration ». C’est donc un livre très pesant, difficile, en un mot, désagréable à l’extrême, et pour cette raison, agréable à l’extrême. Comme je l’ai dit, c’est un livre qui choque. Tant par sa forme, inhabituelle, sèche au premier abord, que par son contenu, à donner la nausée par moments. La lecture n’est pas gentillette et tranquille, on ne sort pas de là sans avoir été bousculé (à moins d’avoir de sérieux problèmes psychologiques), et ça, c’est suffisamment rare pour être signale. Du point de vue de la langue, c’est difficile, disons le, mais sans doute moins en français qu’en Allemand. Certaines difficultés à la lecture m’ont fait m’interroger : tournure particulièrement malhabile, faute ou traduction du texte allemand lui-même très tordu ? Pour avoir eu à traduire un passage de ce livre, pourtant pas le plus difficile, je ne dirais pas que la traduction est mauvaise, et quand parfois certaines phrases me semblent « contre nature », je prends le parti de voir ça comme un choix d’écriture de l’auteur, ça fait réellement partie du livre.
Vous l’aurez donc compris, un livre dur dans tous les sens du termes, mas qu’il ne faut surtout pas éviter pour cette raison, il faut forcer sa lecture pour finalement s’apercevoir du monument formidable à côté duquel on a failli passer par manque de courage ! Ouf ! S’il y avait plus de livres comme celui là, je me demanderais moins souvent si, en fin de compte, la littérature a un quelconque intérêt.