Emily Brontë, Les Hauts de Hurle-Vent.
En pensant à ce livre dont je ne connaissais pas grand chose je me disais "Boarf, un roman anglais du début du 19ème... je garde ça pour quand je serai à la retraite, je le lirai avec une tasse de thé fade, un plaid et un chat sur les genoux, les charentaises au pied, et mon réveil réglé pour me rappeler l'heure de partir au club question pour un champion de mon quartier." C'est dire que j'avais un a priori légèrement négatif. Et puis quelqu'un pour qui j'ai une estime immense m'a dit qu'il fallait absolument que je le lise, que c'était superbe etc. Ce que je fis donc cette semaine.
Je le reconnais, je me trompais. Ce roman est tout à fait étonnant. C'est une histoire d'amour. Ou plutôt de haine, on ne peut pas dire, les extrêmes se touchent. C'est d'ailleurs ce qui en fait, pour bonne part, sa qualité. La forme même est surprenante pour l'époque je trouve, plusieurs récits et narrations de plusieurs formes, à tiroirs, qui s'emboîtent, se complètent, et forment l'histoire qui nous est rapportée en fin de compte. Je ne m'attendais pas à trouver ce jeu entre les narrateurs, les paroles rapportées, les témoignages directs des personnages, c'est très intéressant.
L'histoire même est passionnante. Tous les personnages ont d'incroyables tares morales et psychologiques, pas un seul n'est équilibré à l'exception peut être des deux narrateurs. C'est loin d'être une petite histoire d'amour sage, mielleuse et bien polie, c'est un déchaînement de passions. À l'époque de sa publication, je me dis que ce livre a dû pas mal faire de boucan dans les salons bourgeois ! Il est sûrement tombé des mains offusquées des vieilles anglaises bien pensantes. Ici, les vices des personnages sont bien mis en évidence, il n'y en a pas un pour rattraper l'autre, et quand je dis que le livre est passionnant, c'est parce que le phénomène d'empathie est très fort, le lecteur est transporté dans l'histoire, on ne reste pas froid devant ce texte tant les personnages et leurs actions sont détestables. On aurait envie de leur casser les genoux à coup de batte, de les énucléer avec une cuillère à pamplemousse, de leur faire écouter un album d'Indochine (non, peut être pas ça quand même, il y a quand même des limites à la barbarie).
J'explique un peu. L'action est dans une campagne anglaise isolée, c'est à dire nulle part. C'est un milieu clos, stagnant, les gens qui vivent là n'ont qu'eux comme compagnie, ils ne peuvent pas sortir de cet enfermement, alors pour passer le temps, on se marie et on se hait, ça occupe. Ils n'ont pas le choix, mis à part les domestiques, qui sont moins que rien dans la mentalité de l'époque, ils ne connaissent qu'une ou deux personne, alors forcément on tombe amoureux par caprice et ennui, et évidemment on se déteste tout de suite après. Dans l'inaction, les vices et haines diverses se développent, prennent de l'ampleur et deviennent incroyablement puissants. Le pire, et le plus passionnant, est que tout ça part d'une histoire d'amour, une grande et terrible histoire d'amour que la souffrance et le déséquilibre psychologique d'un personnage va transformer en atrocité, en manipulation et tortures, ce qui bien évidemment donne toute sa puissance à l'histoire d'amour. On est scotché aux pages, on se demande toujours jusqu'où ils vont aller, si ils vont réussir, ce qui va pouvoir se passer, on se dit "non, elle ne va quand même pas faire ça, non mais quelle conne", on a le souffle suspendu d'un mot à l'autre, bref, on est pris dedans, effet encore accentué par la narration entrecoupée, multiple, avec des anticipations qui, l'air de rien, créent une tension terrible. Et puis surtout on est pris dans le roman parce qu'on a envie de les tuer. Tous. Les petits aristos prétentieux, arrogants pourris et égoïstes à l'extrême avec en plus tout ce qu'ont de particulièrement insupportable les enfants-adultes trop gâtés, à la limite, ça passe encore, on peut se dire qu'ils ont été élevés comme ça, qu'ils ont été formés pour être des trous du cul détestables, qu'ils méritent la mort, mais sans leur en vouloir quoi, mais alors les domestiques arrogants, serviles stupides et impuissants, là c'est trop, pas d'excuse ! Les maîtres sont idiots au possible, plus que ça ne devrait être permis, et les domestiques sont soit pires, soit impuissants à faire quoi que ce soit, la narratrice regarde sa maîtresse se perdre et ne peut/veut rien faire, c'est à se demander à quoi elle sert. Ce roman n'est pas du tout vraisemblable : la vraisemblance réclame meurtres et suicides dans ce contexte. Donc en résumé, tout ça pour dire que le lecteur est complètement transporté dans le récit, qu'il vit l'histoire.
L'écriture est très agréable (ce qui me rappelle que je dois faire un article à ce sujet. Le prochain sans doute), fluide, simple, l'histoire elle même est d'une beauté romantique très puissante, la fin est heureuse comme vous vous en doutez, ça n'est à aucun moment lourd contrairement à ce que je craignais, surtout dans ce pays, il n'y a pas de looooooongues descriptions de la lande et des vallons etc etc, c'est à la fois très simple et très beau, pas mielleux, vraiment c'est un superbe roman qui se lit très rapidement. Je pense que ça ne peut pas se traduire en film sans être un gros navet, il faut réellement le lire et j'encourage tout le monde à faire cette lecture.
Dis donc dis donc, je sens comme une petite ironie au sujet d'Indochine. J'adore ce groupe ! ^^
En ce qui concerne le film, avec Ralph Fiennes et Juliette Binoche, il n'est pas si mal que ça, quoique, au lieu de détester Heathcliff, on se surprend un peu à tomber amoureuse de lui... il n'aurait pas dû mettre un acteur aussi agréable à l'oeil !
Bonne continuation !
Meli